Pour une politique d’asile plus cohérente envers les Roms

Alors qu’est célébrée ce lundi la Journée internationale des Roms, un collectif (voir ci-dessous) dénonce les paradoxes de la politique européenne à leur encontre.
En août dernier, la Belgique a régressé de dix années. En dépit de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, il est devenu possible d’enfermer des familles migrantes avec enfants en vue d’une expulsion. Ce jeudi 4 avril 2019, le Conseil d’État a suspendu l’arrêté royal qui prévoyait ces détentions, une décision qui atteste du caractère hautement problématique des enfermements de familles qui ont eu lieu cette année.

Une aide au retour qui n’a pas eu lieu

Vous vous souvenez sans doute de l’émoi suscité par l’enfermement de la première famille en août 2018, au centre 127 bis de Steenokkerzeel. Il s’agissait d’Éminé, une jeune mère rom, et de ses quatre enfants. Si la détention d’enfants constitue en elle-même une violation des législations internationales, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies s’est ici adressé explicitement aux autorités belges pour leur demander de libérer la famille… L’expulsion vers la Serbie a malgré tout eu lieu en octobre 2018, après deux mois de détention – une durée bien supérieure aux quinze jours prévus dans l’arrêté royal qui fixe les conditions d’enfermement. Les arguments soulevés par les associations et les avocats pour justifier les craintes de persécution de la famille avaient tous été jugés “purement hypothétiques” et la famille s’était vu offrir une “aide au retour”. Cinq mois après l’expulsion, qu’en est-il véritablement ?

Jusqu’à son expulsion, Éminé vivait en famille, avec les grands-parents de ses enfants, dans une ville belge où se trouvent ses attaches depuis son adolescence. Ses quatre enfants en bas âge, tous nés en Belgique, étaient scolarisés et parlaient mieux le flamand que le serbe. Aujourd’hui, nous les retrouvons dans un bidonville à 250 km de Belgrade, sans adresse, sans papiers, sans accès à une quelconque forme de scolarité. Le délégué général aux Droits de l’enfant Bernard De Vos a pu attester, lors de sa visite sur place début janvier 2019, qu’au-delà des accords de réadmission rien n’a été mis en place pour assurer que la famille soit régularisée en Serbie. Pays dont les ressortissants roms ont par ailleurs une longue histoire de diaspora, d’exil et de déni d’obtention de documents. Or, c’est bel et bien la possession d’un statut de séjour légal qui conditionne l’accès à la scolarité et à l’aide sociale en Serbie. Pas d’école, donc, pour les enfants d’Éminé, qui errent dans une maison sans chauffage et sans le moindre passe-temps. Déjà dépourvus de toute attache en Serbie, Éminé et ses enfants s’y retrouvent en outre sans aucune forme de revenus. Le père de ceux-ci, sans nationalité reconnue, est quant à lui en Belgique et “inexpulsable” : la Serbie refuse sa réadmission, ce qui rend définitivement impossible toute réunion familiale.

Le paradoxe

Aujourd’hui, sans grande surprise, force est de constater que les craintes qui avaient été qualifiées d’hypothétiques se sont toutes faites réalité, comme l’a constaté sur place le délégué général aux Droits de l’enfant et comme le soulignent les avocats et associations qui sont encore en contact avec la famille. En expulsant la famille d’Éminé en Serbie, on l’a envoyée vers l’inconnu. Et ce n’est pas un cas isolé : cette situation est à l’image de la dureté des situations vécues par la communauté rom. Elle illustre surtout les paradoxes et les doubles standards qui marquent leur traitement aux quatre coins de l’Europe. En effet, si les traitements discriminatoires et la persécution des Roms sont désormais (re)connus et présentés comme un défi important pour les institutions européennes, les portes de l’asile leur restent hermétiquement fermées. D’où que viennent les Roms, et quelle que soit la légitimité de leurs craintes de persécution, ils font face à un refus quasi systématique de leur demande de protection dans les pays ayant signé la Convention de Genève. Récemment, la systématisation des refus a été facilitée par l’entrée de plusieurs pays de l’Est dans l’UE, ainsi que par l’adoption du système de “liste des pays d’origine sûrs” (en 2012 pour la Belgique). Parmi ces États sujets à une présomption de garantie et de protection des droits humains, on retrouve plusieurs pays des Balkans, où règne pourtant un climat d’insécurité, de haine anti-Tsiganes et de traitements discriminatoires qu’attestent nombre d’instances et de rapports internationaux.

Il serait vain de reproduire la liste des exactions, des exclusions et de la marginalisation systématiques ou ponctuelles dont sont victimes les Roms en Europe. Chaque organisation internationale (Onu, CoE, Parlement européen, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE…) les relève presque annuellement. Pour faire cesser ces violations flagrantes des traités internationaux et, plus que tout, pour mettre un terme à une injustice historique, il est temps d’adopter les mesures qui suivent.

Le retrait de la Serbie de la “liste des pays sûrs” : l’ampleur des discriminations et des violences à l’encontre des Roms y est telle qu’il est impossible de présumer qu’il n’y aura pas de persécutions en cas de retour.

La reconnaissance effective des Roms comme minorité victime de persécution et de ségrégation ethnique : en d’autres termes, que l’appartenance à la communauté rom soit considérée comme suffisante pour obtenir la protection, sans qu’il incombe aux personnes individuellement de prouver le risque de persécution.

Dans ce cadre, nous revendiquons également que la famille Berisha, sous le joug d’une interprétation restrictive du droit d’asile et du droit à vivre en famille, puisse aujourd’hui ouvrir la marche vers la mise en application d’une politique d’asile plus juste. Cela implique son retour sur le territoire belge via l’octroi d’un visa humanitaire. Il est temps que notre politique d’asile considère enfin la dureté des réalités nationales vécues par les Roms en Europe, depuis des siècles et jusqu’à ce jour, en cette Journée internationale des Roms. En s’alignant sur le souci d’accès aux droits et à la justice établi par les instances européennes, de telles politiques constitueraient pour les Roms une porte de sortie d’un droit à deux vitesses et, dans le même temps, un pas en avant vers un statut de citoyen européen à part entière.

Plusieurs associations, témoins de la situation d’extrême précarité dans laquelle se trouvent Madame Berisha et ses enfants depuis leur expulsion en Serbie, saisiront la commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe pour dénoncer cette situation.

  • Organismes signataires :
  • Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms
  • CIRÉ – Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers
  • Progress Lawyers Network Bruxelles
  • Ligue des Droits Humains
  • Défense des Enfants DEI-Belgique

Lien vers le reportage sur place réalisé par le Délégué Général aux Droits de l’Enfant : https://www.youtube.com/watch?v=MyfIyKzr8sg


Publié le –  La libre