10 millions de Roms, Gitans ou Tziganes d’Europe subissent encore actuellement des discriminations systématiques

Les Roms, les Tziganes, les Gitans, les Bohémiens, les Manouches, devenus administrativement les “Gens du voyage”, sont un des peuples les plus malheureux de l’histoire.

Au début du 12ème siècle déjà, dans l’empire byzantin, les “Atsiganoi” sont désignés comme des gens “qui sont inspirés par le diable et qui prétendent prédire l’inconnu”. Depuis le 15ème, les Tziganes ont subi des persécutions partout où ils se sont installés. En 1530, l’”Egyptian act” interdit leur entrée en Angleterre et oblige à partir ceux qui s’y trouvent, leur vie étant décrite comme “vilaine, oisive et impie”. En Europe orientale, on trouve, en 1710, un édit prévoyant que tous les hommes adultes devaient être “pendus sans procès” tandis que les femmes et les enfants devaient être “fouettés et bannis à jamais”. En Bohème, ils devaient avoir l’oreille droite coupée ; en Moldavie, l’oreille gauche. En 1682, Louis XIV les fait envoyer aux galères.

Plus tard, déportés d’Angleterre et d’ailleurs, ils devinrent esclaves puis quasi-esclaves aux États-Unis. Le régime nazi les extermina purement et simplement, le “Porajmos” étant pour eux le pendant de la “Shoah” pour les Juifs. On pensait qu’une fois l’horreur de l’extermination nazie connue et dénoncée, les survivants et leurs descendants trouveraient eux aussi une sorte de “terre promise” ou, à tout le moins, accueil et respect mais il n’en fût rien. Amnesty International affirme que les 10 millions de Roms, Gitans ou Tziganes d’Europe subissent encore actuellement des discriminations systématiques.

Les préjugés à l'égard des Gens du voyage sont encore monnaie courante

Personnellement, la prise de conscience de cette abominable trajectoire historique m’a transfusé du sang rom dans les veines. Je le dois sans doute aussi à Tintin (et, par conséquent, à Hergé) après la lecture, à 9 ans, des “Bijoux de la Castafiore”, bijoux que des Tziganes passés près de Moulinsart furent “naturellement” soupçonnés d’avoir volés (alors que le “vol” fut le fait d’une pie…). Je me revois d’abord étonné, comme le capitaine Haddock, que ces gens se plaisent à résider sur une décharge d’immondices, puis apprendre avec effroi que c’était la gendarmerie locale qui leur avait assigné cet endroit, puis être ravi que, généreusement, ledit capitaine leur propose une belle prairie près de son château. Il est des fictions vues ou lues dans l’enfance qui déterminent toute une vie. De sales et voleurs, les Tziganes, les Roms et autres peuples nomades discriminés sont devenus, pour moi, le moteur d’une lutte constante contre les injustices.

Si le combat humaniste a un peu freiné l’expression des préjugés raciaux et sociaux, un constat s’impose : on est encore loin du but si l’on poursuit l’éradication totale de ces tristes et révoltants préjugés… Ce que Carl Gustav Jung a appelé l’inconscient collectif fourmille encore d’archaïsmes répugnants. Et malheureusement pas seulement dans les cerveaux garnis de croix gammées, comme l’ex-président d’un parti flamand l’a prouvé récemment par ses propos orduriers et son incitation à faire commettre par des policiers ni plus ni moins que des ratonnades contre les Roms, Gitans et autres basanés… Il n’y a guère, c’était un journaliste qui, à la radio, appelait ses auditeurs à protéger leur propriété parce que des Tziganes avaient été repérés dans l’Entre-Sambre-et-Meuse !

S’ils portent sur eux les stigmates de la pauvreté ou de la misère, on prête d’office aux Roms l’intention de voler (jadis, c’était des poules mais ça a évolué). S’ils ont de grosses caravanes et de belles limousines, on soupçonne les “Gens du voyage” de les avoir acquises par des trafics douteux… Et si des mamans mendient avec leurs enfants au coin des rues, c’est nécessairement au profit de gangs ou de mafias… Nomades, on les craint parce qu’ils peuvent disparaître facilement après avoir commis des larcins, voire des forfaits. Si, comme beaucoup y aspirent désormais, ils deviennent sédentaires, ils doivent surmonter mille embûches avant d’être intégrés. Même la notoriété de certains de leurs pairs, comme Charlie Chaplin, Michael Caine, Django Reinhardt, Manitas de Plata ou Kendji Girac, ne les exonère pas encore d’une perpétuelle méfiance. Dans la recherche, malheureusement séculaire, de boucs émissaires, ils ont succédé, après avoir longtemps cohabité avec eux, aux juifs.

Des prétendus impératifs de sécurité ou d’hygiène pour les déloger

Bien que “gadjo” et plutôt sédentaire, je participe aux actions du Comité national des Gens du Voyage et vois, régulièrement, avec dépit, quelles manœuvres (clandestines mais aussi parfois officielles) sont utilisées pour éloigner ou chasser les nomades (volontaires ou forcés) contemporains. Aux anciens ordres brutaux du style : “Vous n’avez pas le droit de vous installer là” ou “Vous devez décamper sur l’heure” a succédé un recours à des prétendus impératifs de sécurité ou d’hygiène ainsi qu’à des interdictions urbanistiques. Condamnant des états, notamment la France, pour des déplacements forcés, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a pourtant mis au pilori l’anti-tziganisme et la romophobie qui subsistent. Notamment dans l’arrêt Winterstein et autres c. France du 17 octobre 2013, elle a proclamé que la vulnérabilité des Roms, Tziganes et Gens du voyage oblige les états à accorder une attention spéciale à leurs besoins et à leur mode de vie propre, tant dans le cadre réglementaire en matière d’aménagement du territoire que lors de la prise de décisions dans des cas particuliers.

Alors que Montesquieu se demandait, ironiquement bien sûr, “Comment peut-on être Persan ?”, je clame pour ma part, sans aucune dérision, “Comment peut-on, aujourd’hui, ne pas être Tziganes, Gitans ou Roms ?”. Car, après des persécutions et des discriminations séculaires, l’extermination par les nazis, soutenue par une grande masse de population européenne, a rendu l’humanité entière débitrice à leur égard d’une dette de fraternité.

Titre de la rédaction. Titre original : Je suis Rom, Gitan, Tzigane, …