Des propos racistes font écho aux pages les plus sombres de notre histoire

Carte blanche  du Centre de Médiation des Gens du voyage et des Roms
Par Ahmed Ahkim et Thomas Desai.

Le jeudi 5 octobre, des révélations ont été faites concernant C. Rousseau, président du parti Vooruit, accusé d’avoir tenu des propos racistes à l’encontre de la communauté rom. Ces discours, capturés par une caméra corporelle de la police, suscitent notre étonnement et notre inquiétude quant à la possibilité qu’un tel comportement puisse être adopté par une personnalité politique bien en vue.

La parole des présidents de partis démocratiques revêt en effet une grande importance dans la définition des limites de ce qu’est un discours acceptable. Les décisions des juges rappellent d’ailleurs régulièrement que la Loi belge en définit d’autres (1). Ce privilège des présidents de parti a plusieurs limites morales, politiques voire juridiques, notamment l’interdiction de propager des discours haineux envers une communauté vulnérable.

Ces propos, à travers cette incitation des policiers à matraquer davantage les Roms dans sa ville natale de Sint-Niklaas, contribue activement à la stigmatisation d’une communauté souvent précaire et à la création d’un environnement hostile à son égard. L’incitation à la violence de la part d’une personne prétendant pouvoir assumer des responsabilités gouvernementales est également préoccupante.
Un écho aux sombres pages de l’Histoire.

Sans préjuger de l’intention de son auteur, ces paroles, devenues trop banales, font écho à nos pages les plus sombres de l’Histoire, remontant à l’occupation nazie. C’est d’ailleurs à quelques kilomètres de là, à Malines (Mechelen), que les Nazis ont regroupé les familles de Gens du Voyage raflées en Belgique et dans le nord de la France pour être déportées vers Auschwitz. Le Conseil de l’Europe estime que 83,3 % de la population Rom et Gens du Voyage en Belgique a été exterminée (2). Les chiffres pour le Luxembourg et les Pays-Bas sont encore plus effrayants. Etienne Charpentier, président du Comité national des Gens du Voyage, rappelle à quel point les propos appelant à matraquer sa communauté lui font violence : « Mes parents m’ont raconté comment ils ont été traités pendant la Seconde Guerre mondiale, frappés avec des matraques dès qu’ils bougeaient ou parlaient. La politique revient 80 ans en arrière, comme à l’époque du nazisme, avec des propos barbares. » (3)

Par ces propos maladroits et violents de monsieur Rousseau, a été dévoyé son rôle de représentant politique travaillant dans l’intérêt collectif des Belges. Il est significatif de constater que le seul autre président de parti à soutenir ses propos provient de l’extrême droite raciste. Pour le Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms, cette affaire s’inscrit dans un discours répété à l’encontre des Roms associé à des propos racistes touchant d’autres communautés ou catégories. Nous espérons que cette controverse en début de campagne électorale restera isolée et ne reflétera en aucun cas la position de partis politiques démocratiques en matière d’intégration et de vivre ensemble.

Notre inquiétude vient du fait que l’antitsiganisme est profondément ancré dans notre société. Ce dernier est une forme de racisme caractérisée par l’altérisation radicale des populations supposées Roms et Gens du voyage, l’attribution de stéréotypes négatifs et essentialisant à leur encontre, et l’adoption d’un comportement implicite ou explicite excluant, violent ou méfiant basé sur ces origines supposées (4). Il est clair que les propos tenus dans cette affaire, qui incitent à la violence physique envers des personnes en raison de leur identité (« rom ») et leur couleur de peau (« brun »), relèvent d’un antitsiganisme primaire.

De plus, ces propos contiennent également un profond racisme de classe. La haine implicite dans les propos énoncés n’est pas dirigée contre des personnes aisées et stables, citadins de catégories professionnelles supérieures, des familles nucléaires payant leur prêt hypothécaire… Cette haine est principalement présente en ce qui concerne les ‘pauvres’, les ‘errants’, les ‘mendiants’ et les ‘profiteurs du système’.

Ces propos à l’encontre des Roms véhiculent une haine pour toute personne exclue du système, toute personne vulnérable et précarisée, toute personne en décrochage social, toute personne de ‘seconde zone’. Un regroupement d’associations (5) dénoncera ce mardi 17 octobre, lors de la journée mondiale du refus de la misère, la déshumanisation dans laquelle sont plongées ces personnes (6) et sera dans la rue pour défendre les droits de ces personnes dites de ‘seconde zone’, pour dénoncer la méfiance politique et sociale à leur égard, et pour promouvoir la création de solutions solidaires et constructives pour ces personnes qui attirent si banalement la haine.
Pour des solutions politiques et sociale durables

Au Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms, nous soulignons que la situation sociale et économique d’un grand nombre de Roms en Belgique est dramatique. L’absence généralisée d’aires d’accueil adaptées aux Gens du Voyage, notamment en Région bruxelloise et en Wallonie, est la forme principale de leur exclusion du territoire. Ces lacunes dans les politiques d’action sociale constituent aussi LE terreau sur lequel de tels discours haineux se greffent. Traiter le racisme dans lequel ces discours sont ancrés n’est qu’un pansement en l’absence de solutions politiques et sociales durables en ce qui concerne l’intégration des Roms précaires et vulnérables et l’accueil digne pour les Gens du Voyage.

Le Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms souhaite souligner que TOUT discours antitsigane doit être considéré comme un discours raciste, et à ce titre poursuivi par la Justice. La discrimination systématique envers les Roms et les Gens du Voyage n’est plus acceptable en Belgique en 2023, à l’heure où les Roms et les Gens du Voyage devraient être traités pour ce qu’ils sont, à savoir des citoyens belges et européens.

En cette année électorale, nous attendons des partis politiques démocratiques autre chose qu’un jeu superficiel et, parfois nauséabond, de racisme, de xénophobie et de mépris pour les plus pauvres. Nous espérons voir le monde politique s’engager résolument dans l’amélioration des conditions de vie de la population, DE TOUTE LA POPULATION, y compris ses citoyens les plus vulnérables et les plus opprimés par les discriminations.

(1) Notamment la loi anti-discrimination et la « loi Moureaux » dite loi contre le racisme.
(2) Conseil de l’Europe, Droit et Devoir de Mémoire : Manuel d’éducation des jeunes au génocide des Roms (page 29), Deuxième édition.
(3) La Libre – le 06/10/23
(4) Synthèse de la définition de référence d’antitsiganisme de l’Alliance contre l’antitsiganisme, 2019.
(5) ATD Quart-Monde, le Centre de Médiation des Gens du Voyage et des Roms (CMGV), l’association de Défense des Allocataires Sociaux, (ADAS), le Front commun des sdf, la marche des migrants, le Mouvement LST.
(6) « C’est pas HUMAIN ! » Stop à la déshumanisation de notre société.

                                Pour aller plus loin: