Les Roms aujourd’hui en Belgique

Les Roms sont pris en tenaille entre la dégradation des conditions de vie dans les Balkans et les nulles possibilités d’émigration légale, 

par Karin Waringo

En 2012, 39 770 ressortissants serbes, monténégrins, macédoniens, albanais, kosovars et bosniaques ont demandé l’asile en Union européenne, dont 2 125 en Belgique [1].

La majorité de ces demandeurs d’asile appartiennent à la communauté rom ou à d’autres minorités locales.

Pour tous ces pays, à l’exception du Kosovo, l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile est directement liée à la suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours, inférieurs ou égaux à 90 jours, dans l’espace Schengen.

Il en résulte que les personnes désirant immigrer dans un des pays de l’Union européenne ou de l’espace Schengen – l’asile constituant évidemment aussi une voie d’immigration – , n’ont plus besoin de recourir aux services de passeurs pour traverser les frontières.

Ceci a ouvert la voie pour beaucoup de personnes appauvries, dont de nombreux Roms.

La réaction des pays concernés par ce phénomène, qui se concentre sur certains pays, a été immédiate : en février 2009, deux mois à peine après l’entrée en vigueur de la libéralisation des visas pour la Serbie et la Macédoine, l’ancien premier ministre belge, Yves Leterme, adresse un courrier alarmant à la Commissaire européenne en charge des affaires intérieures, Cecilia Malmström. Il écrit : « Des vagues de plusieurs centaines de ressortissants en provenance de ces deux Etats quittent leur territoire en autobus pour se rendre en Belgique, où ils espère[nt] pouvoir bénéficier des aides accordées aux demandeurs d’asile » [2]. Il demande à la commissaire européenne si elle pouvait « prendre des décisions ou des actions qui permettraient de limiter les conséquences néfastes de la libéralisation du régime européen des visas dans ce cas d’espèce » [3].

Depuis cette date, la libéralisation des visas et ses « conséquences néfastes » est régulièrement à l’ordre du jour des réunions des ministres de l’intérieur européens. A partir d’octobre 2010, la Commission européenne a commencé à menacer les pays des Balkans de la possibilité de réinstaurer l’obligation de visas au cas où ces pays ne parviendraient pas à enrayer le phénomène des demandeurs d’asile.

A partir du mois de novembre 2010, cette possibilité a pris forme avec l’initiative commune des Pays-Bas et de la France, qui ont demandé, à l’occasion de la levée des visas pour la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie, que soit introduite une clause de sauvegarde dans le règlement des visas pour les pays tiers. Concrètement, il s’agit de créer un mécanisme qui permettrait de réintroduire l’obligation de visas en cas de forte affluence de demandeurs d’asile ou d’immigrés clandestins.

Il s’en est suivi une véritable bataille diplomatique entrecoupée, il est vrai, par des échanges de politesse au cours desquels les pays se sont mutuellement félicités pour leur bon respect des droits de l’Homme. L’enjeu de cette bataille était de savoir qui était responsable pour l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile.

Pour les pays occidentaux, il était clair que les pays des Balkans devaient redoubler leurs efforts pour informer leur population sur les modalités de la libéralisation des visas et leur expliquer que celle-ci ne leur permettait pas de s’installer dans un des pays de l’Union européenne. Ils devaient aussi renforcer les contrôles de frontière et combattre la corruption consistant notamment dans l’octroi de passeports biométriques à des personnes qui n’y auraient pas droit.

Encouragés par les experts de la European Stability Initiative, une fabrique de pensée qui prône l’abolition des visas pour les pays limitrophes de l’Union européenne, les pays des Balkans ont répondu en accusant les pays de l’Union européenne de créer un appel d’air en proposant des conditions d’accueil alléchantes.

Une troisième voie consistait à dire que les demandeurs d’asile étaient encouragés et acheminés par des réseaux criminels qui seraient les vrais profiteurs de la situation.

Nous avons ensuite observé la mise en place progressive d’un double mécanisme, à la fois du côté des pays d’origine et des pays de destination, consistant, d’une part, à empêcher sinon à dissuader le départ des demandeurs d’asile et à rendre les conditions d’accueil moins attrayantes.

Je commence par le deuxième volet :

En mars 2010, la Norvège a introduit des procédures d’asile accélérées pour les ressortissants serbes, monténégrins et macédoniens, dont les demandes sont traitées dans un délai de 48 heures. Cette mesure, qui a ensuite été étendue à la Bosnie-Herzégovine et l’Albanie, est justifiée par la nécessité de « prévenir un grand nombre de demandes d’asile non-justifiées en provenance de ces pays » [4].

L’Autriche, la France, le Luxembourg et la Belgique ont eu recours à la notion de pays d’origine surs. Dans le sens de la directive européenne sur les procédures d’octroi et de retrait du statut de réfugié, un pays est considéré comme pays d’origine sûr, « [s’]il peut être démontré que, d’une manière générale et uniformément, il n’y est jamais recouru à la persécution […] ni à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison de violences indiscriminées dans des situations de conflit armé international ou interne ». [5].

En France, le placement d’un pays sur la liste des pays a comme conséquence que les ressortissants de ce pays qui demandent l’asile en France ne sont pas officiellement admis sur le territoire français et ne bénéficient d’aucune aide notamment sous forme d’hébergement et d’aide à la survie, et que leur demande d’asile est traitée dans le cadre d’une procédure dite prioritaire qui minimise l’effet des recours.

De fait, les demandeurs d’asile sont placés dans une situation de très grande précarité, alors qu’un taux de reconnaissance supérieur à 20% pour la Serbie et l’Albanie, ce dernier pays ayant d’ailleurs été retiré de la liste, par décision du Conseil d’Etat, en avril 2012, contredit l’idée-même selon laquelle ces pays seraient surs.

Le Luxembourg a « profité » de l’arrivée de demandeurs d’asile des Balkans, dont les demandes ont immédiatement été qualifiées comme injustifiées par le premier ministre de l’époque, Jean-Claude Juncker [6], pour revoir à la baisse les aides financières accordées aux demandeurs d’asile. Les demandeurs d’asile roms ont été, en partie, hébergés sur des campings, sous des tentes et dans des containers. Cette mesure visait sans doute à contrecarrer l’idée que le Luxembourg serait un pays de cocagne.

Mais les mesures, les plus dures et en même temps les plus problématiques ont été adoptées par les pays des Balkans. Celles-ci consistaient d’abord à renforcer le contrôle des frontières comme une des conditions pour la libéralisation des visas.

En juin 2011, le gouvernement serbe a adopté un nouveau règlement visant à créer une base légale pour les contrôles de frontière renforcés à la sortie du pays. Depuis cette date, les gardes frontières sont en droit de demander toutes sortes de justificatifs aux citoyens serbes désirant se rendre dans un des pays de l’espace Schengen.

Des mesures identiques ont été prises en Macédoine qui avait déjà prévu des contrôles renforcés, visant notamment à vérifier que les personnes désirant quitter la Macédoine remplissent les critères pour entrer dans l’espace Schengen, en avril 2009.

Dans tous les Balkans, des milliers de personnes, majoritairement des Roms et des personnes appartenant à d’autres minorités ethniques, ont été privées de leur liberté de circulation sur base de la simple suspicion qu’ils seraient des « faux demandeurs d’asile », comme on les appelle, et dans le seul but de préserver la libéralisation du régime des visas avec l’Union européenne.

La Macédoine est encore allée plus loin en tamponnant les passeports des personnes qui ont été considérées comme susceptibles d’être des « faux demandeurs d’asile » et en les rendant impropres comme document de voyage. Une nouvelle loi adoptée en septembre 2011 permet le retrait pur et simple du passeport des demandeurs d’asile déboutés et plus généralement des personnes rapatriées dans le cadre d’une procédure de réadmission.

Nous pouvons ainsi constater que, de plus en plus, les Roms sont pris en tenaille : la dégradation des conditions de vie dans les Balkans est manifeste. Elle touche surtout ceux qui sont déjà mis à l’écart par la société, dont les Roms.

D’autre part, les possibilités d’émigration légale sont pratiquement inexistantes pour eux. Si on analyse les chiffres démographiques, on constate que tous les pays des Balkans ont connu et connaissent toujours un important exode. Or, l’émigration légale n’est possible que pour ceux qui sont bien qualifiés et qui disposent de réseaux à l’étranger.

Parallèlement, nous observons une forte recrudescence du racisme anti-rom. Dans les Balkans, ce racisme est alimenté par le lien qui est fait entre le phénomène des « faux demandeurs d’asile » et la menace sur le régime des visas. En octobre 2012, le premier ministre serbe, Ivica Dačić, déclara, à l’occasion de nouvelles pressions de la part de l’Union européenne, qu’il serait injuste si toute la population serbe devait payer pour les abus du système d’asile par une petite minorité [7].

Chez nous, sur l’arrière-fond d’une crise économique et sociale, les Roms deviennent à nouveau des boucs émissaires pour tous les maux de la société, et certains projets comme notamment le combat contre la criminalité itinérante, érigé comme priorité politique sous la présidence belge de l’Union européenne en 2010, ne sont pas sans rappeler quelques-uns des plus sombres chapitres de l’histoire européenne.

par Karin Waringo