23.01.2017 La romaphobie est-elle la dernière forme « acceptable » de racisme ?

MATT BROOMFIELD 23 JANVIER 2017 

Cet article est disponible en : anglais

Vilipendés par les médias et persécutés aux 4 coins de l’Europe, les communautés roms commencent à riposter.

Les Roms ont été le dernier peuple d’esclaves légaux en Europe, ils se cassaient encore le dos dans les champs des propriétaires roumains jusqu’à la moitié du 19ème siècle. Aujourd’hui, ils ne sont peut-être plus en esclavage, mais ils sont toujours ostracisés, marginalisés et appauvris : un Rom européen sur 4 vit sans eau courante, et 90% vit en dessous du seuil de pauvreté. Seuls 54% des européens disent qu’ils seraient heureux de travailler avec une personne rom, et pendant ce temps, des groupes paramilitaires d’extrême droite et des hordes armées les pourchassent à travers l’Europe orientale.

Alors qu’ils sont expulsés en masse de pays européens comme la France, forcés à vivre dans la pauvreté dans des bidonvilles, l’attitude dominante considère que les Roms sont des cibles légitimes, qu’ils sont des voyageurs par choix, qu’ils ont renoncé à la société et qu’ils refusent de s’intégrer. Dans son livre « La romaphobie : la dernière forme acceptable de racisme », le Docteur Aidan McGarry, maître de conférence en Politique à l’Université de Brighton, questionne les sources de cette situation et dévoile comment une génération rom plus jeune est prête à riposter. 

VICE : dans votre livre « Romaphobia », vous dites que les Roms sont stigmatisés parce qu’ils sont perçus comme opposés à « nos valeurs modernes ». Quelles sont-elles et comment en sont-ils exclus ?

AIDAN MCGARRY : l’emploi, l’éducation, la vie civique et la capacité à payer des taxes. Leur culture est perçue comme étant contraire aux valeurs européennes de base comme la démocratie, le capitalisme et le néolibéralisme. Les Roms sont utilisés par les bâtisseurs de nation pour créer des idées de solidarité et d’appartenance pour la majorité, au dépend des Roms eux-mêmes. Ils sont construits comme une menace, une aberration nécessaire, qui soi-disant diminue les valeurs et les principes si chers à la nation européenne.

VICE : Donc les nations européennes ont besoin d’un ennemi pour prouver à quel point elles sont progressives ? 

AIDAN MCGARRY : dans l’Europe de l’Ouest contemporaine, il s’agit généralement des Musulmans. Dans l’Europe de l’Est, ce sont les Roms. Par exemple, la Hongrie est sous un régime totalitaire depuis quelques années. Le 3ème parti le plus large là-bas est Jobbik, un parti d’extrême-droite qui base son soutien électoral en vilipendant les Roms et en les assimilant à la criminalité. Le plus gros changement récent a été la dénommée « crise des réfugiés ». Soudainement, les Roms ne sont plus en ligne de mire : ce sont les réfugiés. Les Roms que je connais en Hongrie travaillent beaucoup avec les réfugiés, se rendent aux frontières pour leur fournir un refuge et de l’aide. Ils font face à des problèmes similaires. 

VICE : Y a-t-il des similarités entre l’historique romaphobie et l’actuel climat anti-réfugiés en Europe ?

AIDAN MCGARY : en 2000, des leaders roms ont déclaré l’existence d’une nation rom – une nation sans état. Ils ne veulent pas leur propre territoire. Où serait-il ? Ils ont quitté l’Inde il y a mille ans, sont arrivés en Europe au 14ème siècle, ils ont contribué énormément et ont tant souffert depuis. Il y a entre 10 et 12 millions d’entre eux, plus que la population de Grèce. Les néo-nazis ont suggéré qu’ils devraient tous se rendre quelque part en Afrique. 

Aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont installés en Europe de l’Est, et ceux qui voyagent sont tout simplement en train de migrer. Ici à Brighton, nous avons beaucoup de jeunes étudiants espagnols ; Les Roms en provenance de Slovaquie sont exactement les mêmes. Ils veulent la même chose que vous et moi : ils veulent que leurs enfants soient heureux, ils veulent un bon boulot dans des lieux agréables, des bons amis et voisins. Presque tous les Roms sont des citoyens européens. En traversant les frontières, ils performent leur appartenance au rêve européen. 

VICE : Cette hostilité à l’encontre des Roms expose-t-elle les limites du « rêve européen » ? 

AIDAN MCGARY : Si vous n’êtes pas capable de vous déplacer librement, ainsi que de travailler et d’accéder à l’éducation en toute liberté, vous êtes un citoyen de seconde-zone. En 2010, les Roms se faisaient déporter de France en nombres très élevés – des milliers et des milliers d’entre eux ont été renvoyés vers la Roumanie et la Bulgarie. C’était un traitement spécifique ciblant un groupe ethnique – ce qui est hautement illégal à cause de ce qu’ils s’est passé pendant l’Holocauste (d’après les estimations, 500 000 Roms ont été assassinés par les Nazis) – quand le gouvernement de Nicolas Sarkozy a commencé à expulser les Roms en très grands nombres, sans que la plupart ne puisse rien y faire. Il y avait un vrai sentiment de rage. Des citoyens français ont protesté contre ces expulsions, ne pouvant pas croire qu’elles puissent encore arriver à cette époque. La presse à l’époque a comparé la situation à la Deuxième Guerre Mondiale – va-t-on vraiment laisser cela se produire à nouveau ?

VICE : Cette opposition aux expulsions en France était-elle similaire à celle des manifestations de Stonewalls, quand la communauté gay et transgenre a riposté contre la persécution ? Est-ce que cela a inspiré de la résistance à la romaphobie ? 

AIDAN MCGARY : Il s’agit plus d’activisme. Au sein du mouvement rom il y a une tendance à combattre les préjugés et les orthodoxies, et à mettre l’accent sur la voix des Roms eux-mêmes. Cela est très important en termes d’émancipation sur le long terme. La Roma Pride (qui a démarré en 2011) s’inscrit dans ce mouvement. A la Bucharest Pride, j’ai rencontré des étudiants universitaires avec des t-shirts indiquant « Je suis Rom et j’étudie pour devenir un docteur ou un sociologue ». Ils se sont présentés ainsi à la Gay Pride, mais clairement il s’agit surtout de réclamer l’espace public, montrer qu’ils existent, qu’ils sont visibles, qu’ils appartiennent. 

VICE : votre livre parle beaucoup de l’espace, et argumente que les agendas politiques néolibéraux voient les Roms comme un surplus de population qu’il faut expulser des terres les plus précieuses pour les emmener dans des communautés appauvries, ghettoïsées. 

AIDAN MCGARY : Initialement, les Roms étaient en quête de professions qui ne les rendaient pas dépendants de l’état, comme le commerce de chevaux, de ferraille ou le dressage d’animaux. Sous le communisme, les Roms étaient forcés de devenir sédentaires : ils étaient vus comme un projet pour prouver que les communisme était mieux que le capitalisme. Leur position s’est énormément détériorée depuis 1989 (avec la chute du communisme en Europe de l’Est). Ils sont au bas de l’échelle en termes d’alphabétisation, de grossesse précoce, de population emprisonnée, de mortalité infantile… Leur espérance de vie moyenne peut être de 20 ans de moins que celle de leurs voisins dans la même ville. Il y a du chômage massif, atteignant parfois pratiquement 100%. 

VICE : A quoi ressemblaient les communautés Roms que vous avez visité ? 

AIDAN MCGARY : Lunik IX, en Slovaquie, est un lieu horrible. Il y a 5000 personnes qui partagent des éviers communaux, extérieurs, ne fonctionnant que quelques heures par jour. Il fait -10° en ce moment et il n’y a pas de chauffage, donc les murs noircissent à mesure que les gens font des feux de camps à l’intérieur de leurs appartements et souffrent de maladies respiratoires. Cela a lieu à Kosice, la Ville Européenne de la Culture 2013. Ces personnes sont des citoyens européens. Souvent lorsque l’État n’aide pas, les gens ont tendance à se coaliser, mais à Lunik IX ce n’était pas le cas. Il n’y a pas d’organisation communautaire. Je n’ai jamais été dans un tel lieu de désolation. Les communautés avoisinantes construisent des murs autour. 

Suto Orizari en Macédoine est le plus grand quartier rom au monde. (La municipalité de Skopke a une population entre 30 000 et 40 000 habitants) Bien sûr, Suto Orizari a ses propres problèmes, mais il y a un maire, il y a du commerce, les gens se sentent investis : cela ressemble bien plus à une communauté, alors que Lunik IX a l’air d’un lieu que les gens tentent de fuir. Donc je ne veux pas caricaturer tous les Roms comme étant reclus aux confins de la société : beaucoup de Roms mènent des vies parfaitement mondaines. Mes livres cherchent à comprendre pourquoi la romaphobie existe, quel est le rôle qu’a l’État dans sa création et son maintien, et comment elle peut être combattue.