16.07.2015 Cour Européenne des Droits de l’Homme : la Belgique condamnée pour traitement dégradant d’une famille rom demandeuse d’asile

C'est article est disponible en anglais

Le 7 juillet 2015, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a rendu un arrêt de Chambre, dans lequel la majorité a soutenu que la Belgique avait violé l’article 3 (interdiction de traitement inhumain ou dégradant) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ainsi que l’article 13 (le droit à un recours effectif), pris en conjonction avec l’article 3. La Cour a trouvé, cependant, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 2 (droit à la vie). La Belgique a été condamnée à payer aux requérants 22,750 euros en dommage moral, et 8,120 euros en coûts et dépenses. (V.M. and Others v. Belgium, (Application No. 60125/11) (July 7, 2015), HUDOC (in French) ; Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms as Amended by Protocols No. 11 and No. 14 [with hyperlinks to Protocols No. 15 & 16] (Nov. 4, 1950), Council of Europe website.)

Background

Les requérants sont une famille de six nationaux serbes d’origine rom : un père, une mère, et leurs quatre enfants. La fille aînée, qui était aussi requérante, est décédée en Serbie le 18 décembre 2011, juste après le dépôt de la plainte. Elle souffrait d’un handicap mental et physique depuis sa naissance, ainsi que d’épilepsie. La famille a décidé de quitter la Serbie à cause du mauvais traitement et de la discrimination qu’ils enduraient en tant que Roms. En mars 2010, ils ont voyagé jusqu’en France, où ils ont issu une demande d’asile, qui a été rejetée. La famille s’est ensuite déplacée jusqu’en Belgique en mars 2011, où ils ont rempli une autre demande d’asile. (V.M. and Others v. Belgium, 6-11) 

La « Procédure de Dublin »

En mai 2011, à la demande de la Belgique sous la Régulation Dublin II établissant les critères et mécanismes qui déterminent quel Etat Membre de l’UE est responsable d’examiner une demande d’asile rendue dans un des Etats-Membres par un ressortissant de pays tiers, la France a accepté de reprendre la famille. Au moment des évènements, cette « Procédure de Dublin » était gouvernée par la Règlement de Conseil (EC) n° 343/2003. 

Ainsi, les requérants ont reçu l’ordre  par l’Office des Etrangers de partir pour la France. Ils ont alors reçu une extension leur permettant de rester en Belgique jusqu’au 25 septembre 2011, en raison de la grossesse de la mère. 

Procédures face à l’Office des Etrangers et la Commission de Recours des Etrangers

Le 16 juin, les requérants ont rendu un recours demandant la suspension et l’annulation de la décision leur interdisant de partir et les obligeant à quitter la Belgique. L’audience à la Commission de Recours de Etrangers a été tenue le 36 août 2011. Au même moment, ils ont essayé à plusieurs reprise et en vain de suspendre leur transfert vers la France via des procédures administratives et judiciaires. Par exemple, la famille a rentré une demande de séjour sur base de raisons médicales auprès de l’Office des Etrangers le 22 septembre 2011, sous l’article 9ter de la Loi des Etrangers, pour le compte de la fille aînée, mais la demande a été refusée. (V.M. and Others v. Belgium, 22-26)

Dans le jugement rendu en novembre 2011, la Commission de Recours des étrangers a conclu que l’Office des Etrangers n’avait pas établi la base légale qui désignait la France comme pays chargé de la demande d’asile des requérants, et a donc statué en faveur de l’annulation des décisions contestées. (V.M. and Others v. Belgium, 27-30) Pendant ce temps, la famille a été laissée dans une condition d’extrême pauvreté et a été forcée de retourner en Serbie, où la fille aînée est décédée. 

L’Etat Belge a cependant rendu un recours en cassation avec le Conseil d’Etat de Belgique, la plus haute juridiction administrative en Belgique, à l’encontre de la décision de la Commission de Recours des Etrangers. Le 28 février 2013, le recours a été déclaré inadmissible « pour manque d’intérêt actuel, par le fait que les requérants étaient retournés en Serbie et que l’Etat Belge avait été libéré de ses obligations sous la procédure déterminant l’Etat-Membre responsable de répondre à la demande d’asile ». (V.M. and Others v. Belgium, 31-32)

La décision de la CEDH

Dans l’arrêt de Chambre récemment rendu par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 

« La Cour a trouvé en particulier que les autorités belges n’avait pas accordé de considération à la vulnérabilité des requérants, qui sont restés quatre semaines dans des conditions d’extrême pauvreté, et qu’elles avaient échoué dans leur obligation de ne pas exposer des requérants à des traitements dégradants, en dépit du fait que le réseau d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique était sévèrement débordé à ce moment (la « crise de l’accueil de 2008 à 2013). La Cour a considéré que l’exigence de protection spéciale des demandeurs d’asiles avait été d’autant plus importante de par la présence d’enfants en bas-âge, dont un nouveau-né et un enfant souffrant de handicap ». 

De plus, le fait que le recours contre l’ordre de quitter le territoire n’a pas eu d’effet suspensif a eu pour conséquence que tout soutien matériel a été refusé aux requérants et les a forcés à rentrer dans leur pays d’origine, avant même que leurs peurs d’une possible violation de l’Article 3 dans ce pays aient été examinées. »

Conformément aux articles 43 et 44 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, cependant, toutes les parties disposent de trois mois après la décision pour réclamer le renvoi d’une affaire à la Grande Chambre de la Cour. Si la demande de renvoi est faite, un panel de 5 juges décidera si l’affaire mérite réévaluation. S’ils décident que c’est le cas, la grande Chambre examinera la plainte et prendra une décision finale. A l’inverse, si la demande est refusée, l’arrêt de Chambre devient la décision finale dès le jour du refus de réévaluation. 

ARTICLE COMPLEMENTAIRE

La CEDH condamne la Belgique pour avoir laissé à la rue une famille rom avec 5 enfants

AFP Publié le mardi 07 juillet 2015 à 13h28 – Mis à jour le mardi 07 juillet 2015 à 13h30

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné mardi la Belgique pour avoir laissé dans "des conditions de dénuement extrême" dans la rue, pendant un mois, une famille serbe de demandeurs d'asile finalement renvoyée vers son pays. Les juges européens ont estimé qu'il ne leur revenait pas de dire si cette famille aurait dû se voir accorder l'asile, mais ils ont affirmé qu'abandonner ainsi à la rue un couple et ses cinq enfants relevait d'un "traitement inhumain ou dégradant".

Les autorités belges devront verser 22.750 euros au titre du dommage moral aux requérants. La Belgique a toutefois trois mois pour demander un nouvel examen du dossier.

Les faits remontent à l'automne 2011. Après avoir transité par la France en 2010 où elle avait déposé une demande d'asile, cette famille serbe d'origine rom était arrivée en Belgique en mars 2011. Elle comptait alors trois enfants de 4, 7 et 10 ans – l'aînée étant handicapée -, et la mère mit au monde un quatrième enfant en Belgique en 2011.

Les requérants ont d'abord été hébergés dans un centre d'accueil à Saint-Trond. Mais le 26 septembre 2011, frappés par un ordre de quitter le territoire, ils ont été privés du bénéfice de l'aide matérielle aux réfugiés et se retrouvèrent à la rue.

"Ils ont passé neuf jours sur une place publique de Bruxelles, puis, après deux nuits en centre de transit, trois semaines dans une gare de Bruxelles", avant de regagner leur pays, observe la Cour.

Les Etats "ont le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'expulsion" des étrangers, mais leur responsabilité peut être engagée "concernant les conditions dans lesquelles sont accueillis les demandeurs d'asile", relèvent les juges européens.

"Quelle qu'ait été la saturation du réseau des demandeurs d'asile en Belgique à l'époque", la CEDH a considéré que les autorités belges n'avaient pas "dûment pris en compte la vulnérabilité" de la famille concernée, d'autant que parmi les enfants on comptait un nourrisson et une handicapée.
 

16 juillet 2015
Par Geneviève Claveau et Nicolas Boring, Spécialistes du Droit Etranger