Stop au discours anti-rom ! Plainte et communiqué de l’association Chachipe

Mesdames, Messieurs,

Chachipe est une association de défense des droits des Roms. Dans le cadre de notre activité de lutte contre le racisme et la xénophobie, nous souhaitons déposer une plainte contre le reportage « Les enfants voleurs » qui a été diffusé le 12 février 2010 par RTL-TVI dans le cadre de l’émission « Reporters ». Il s’agit de la réadaptation d’un documentaire réalisé par la BBC où il a été diffusé une première fois, le 2 septembre 2009, sous le titre « Gypsy child thieves ». Il a également été diffusé par la chaîne suisse TSR sous le titre « Dressés pour voler : La malédiction des enfants gitans » et rediffusé par la BBC, le 20 et le 21 février 2010.

La version originale de ce film est fortement inspirée par des ressentiments racistes envers les Roms qui sont décrits comme une communauté fermée, dominée par le crime. Sur fond d’un reportage sur l’exploitation des enfants par le crime organisé, il évoque pêle-mêle la mendicité et le vol et la traite des enfants. Il suggère que les Roms de par leurs cultures sont enclins à la mendicité et au vol d’où la difficulté de les intégrer. Il reproche aux Roms d’avoir favorisé l’émergence de l’anti-tsiganisme et le revirement vers la Droite en Italie.

Si le reportage passé à RTL-TVI semble avoir été purifié de ses pires détournements, il n’en demeure pas moins profondément empreint par ce mépris envers les Roms et abonde de déclarations généralisantes faisant des Roms un peuple de mendiants et de voleurs, vivant aux crochets de la société. Il maintient ses accusations envers les parents roms qu’il accuse d’exploiter leurs enfants. Ainsi, la présentatrice évoque dans l’ouverture de la deuxième partie que les « parents n’hésitent pas à faire un commerce de leurs enfants parfois pour quelques centaines d’euros » et ajoute que « le prix d’une jeune fille dépend de ses talents de voleuse. »

Tout comme dans la version originale anglaise le terme du vol est présent tout au long du documentaire. Ainsi, on y évoque même le vol d’électricité dans un camp de fortune près de Madrid, alors qu’un raccordement légal parait impossible dans ces circonstances. Cette scène est suivie par une autre scène où un personnage appelé Zabar parle de ses activités criminelles (vol de cuivre) ainsi que de celles de membres de sa famille. Dans son introduction, le réalisateur commentateur explique que Zabar va présenter « la culture des Roms roumains ».

Un peu plus tard, le réalisateur évoque le mariage d’une adolescente. En ce faisant, il poursuit deux motifs : dénoncer la pratique des mariages précoces au sein de (certaines !) communauté(s) rom(s) et ce qu’il qualifie de vente de jeunes filles, d’autre part, de démontrer que la détermination des autorités espagnoles sur ce point incite les Roms à la prudence alors qu’ils n’ont aucune raison de s’inquiéter par rapport à ce qu’il qualifie d’attitude laxiste face à la délinquance juvénile. Son commentaire : « Les gitans le savent » [que les mariages d’enfants sont interdits] fait transparaître un profond mépris envers les Roms.

Le documentaire comporte une scène où des supporters de la Lega Nord fêtent la destruction d’un camp rom près de Milan. Un des participants à cette fête exprime ses regrets face au fait qu’on ne peut pas tuer les Roms. Pour tout commentaire le réalisateur dit : « Le problème des Gitans donne des arguments à l’extrême droite. » Des opérations de police qui ont suscité la réprobation d’organisations internationales sont qualifiées de « manière forte » appliquées par les autorités italiennes. Les présentations des policiers qui font apparaître des réseaux organisées à base de structures de famille ne sont pas contrastées par une approche plus neutre ou les témoignages de militants associatifs.

Le documentaire se termine sur les activités de « la pègre gitane ». Encore une fois, le ton n’est pas neutre, mais imprégné de préjugés envers les Roms. Ainsi, le réalisateur met l’accent sur l’abondance d’enfants qui sont présentés comme une source de revenu. Un homme appelé Cornel est présenté comme ayant tant d’enfants qu’il ne peut plus les compter. Le réalisateur insiste également sur le fait que des Roms sont exploités par des membres de leur propre communauté comme s’il s’agissait d’un fait aggravant. Il donne longuement la parole à un personnage qu’il introduit comme un chef d’un clan qu’il appelle le clan des voleurs. Sur base des témoignages de celui-ci, il suggère que les Roms qui ont pu construire de grandes maisons en Roumanie ont pu le faire grâce à l’argent qu’ils ont récolté à travers des activités illicites. Le film se termine sur la phrase : « Ces fortunes qui s’affichent fièrement (?) en Roumanie sont pour la plupart des cas issues de l’exploitation de l’argent gagné en contraignant des enfants à mendier et à voler, une situation inacceptable en Roumanie comme dans nos rues. »

Malheureusement, le documentaire a été retiré du site de RTL-TVI (http://blogs.rtlinfo.be/reporters/2010/02/11/les-enfants-voleurs/) où il était disponible jusqu’à hier soir ce qui nous empêche d’en faire une analyse plus détaillée. Cependant, nous sommes convaincus qu’il jette l’opprobre sur les Roms à partir de déclarations généralisantes qui ne sont pas fondés sur une analyse objective. Nous avons demandé à la BBC de nous fournir les preuves des affirmations contenus dans le documentaire. Or, la BBC reste vague dans ses déclarations.

Déjà l’utilisation du terme de « Gitan » ou de « Gypsy » laisse transparaître un parti pris. En effet, plus qu’à un peuple (ou groupe ethnique) ce terme est généralement utilisé en référence à un mode de vie nomade et sans activité régulière et rejeté par les Roms.

Nous critiquons également la façon dont sont exposés des mineurs dans ce film surtout que le réalisateur prétend prendre le parti des enfants. Dans la version originale anglaise, les visages des mineurs n’étaient pas masqués. Cependant, ici aussi nous voyons des mineurs et notamment une fille dénommée Daniela évoquer des faits délictueux à visage découvert. Nous estimons que cette approche est incompatible avec l’éthique journalistique.

Voilà pourquoi nous demandons une condamnation de ce reportage et une programmation alternative qui fasse ressortir l’impact de l’anti-tsiganisme sur la communauté rom.

Nous restons à votre disposition pour toute information supplémentaire.

Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de nos salutations distinguées.